Le siège de la CMA HDF à Lille recèle un endroit étonnant : un jardin potager où viennent s’adosser un poulailler et même des ruches. Leurs bienfaits ne sont plus à démontrer, non seulement auprès des cuisiniers et apprentis du CFA qui s’y approvisionnent mais aussi du personnel. Ici, on cultive bien plus que des fruits et des légumes : on respecte le vivant.
Au détour des allées qui serpentent à l’arrière des bâtiments de la Chambre de Métiers et d’Artisanat des Hauts-de-France de Lille, personne ne s’attend à découvrir un jardin potager sur lequel veillent Amandine Van Mullen et Pierre Berthe, les gardiens des lieux. Seul le caquètement des poules, qui ont élu domicile quelques parcelles plus loin, vient troubler la tranquillité de cet espace végétal où les légumes, les fruits, les plantes aromatiques et les fleurs mellifères sont choyés par deux jardiniers de l’association d’insertion Le Jardin de Cocagne à Villeneuve d’Ascq*.
“L’objectif est de cultiver des variétés différentes et de produire des légumes qui ont du goût “, explique Amandine, animatrice et formatrice en permaculture au jardin de la CMA. Ainsi biner, préparer la terre, désherber, planter, arroser mais aussi récolter, fait partie de la chaîne d’activités des apprentis cuisiniers du CFA. Sous l’œil du chef cuisinier formateur, Marc Duretête et conseillés par les jardiniers, les jeunes prennent conscience que leur espace d’apprentissage et cet espace agricole ne font qu’un. De la binette à la fourchette, il n’y a qu’un pas ou presque … “Ils découvrent ainsi réellement ce qu’ils mettent dans leurs plats” précise Pierre, jardinier en insertion. Les futurs cuisiniers cultivent ainsi bien plus que des fruits et des légumes mais une nouvelle manière de cuisiner et donc de bien manger.
Un outil pédagogique
Installées un peu à l’écart des parcelles cultivables, deux ruches ont permis à Mathieu Wijnen l’apiculteur, d’obtenir une production de miel très honorable, -jusqu’à 35 kg en 2022-, destinée presque exclusivement aux cuisines de la CMA Hauts-de-France. La dernière récolte a été réalisée entre mai et juillet 2023 avant que les abeilles n’entrent en hivernage d’octobre à février 2024. Pour l’agent du service du développement économique, spécialisé dans la transmission d’entreprises, sa formation en 2019 à l’activité d’apiculteur a permis de donner du sens à des aspirations bio éthiques.
Lorsqu’il effectue désormais, par le biais de son entreprise Api Green, des poses de ruches ou du team building en entreprise, Mathieu mesure sa satisfaction de pouvoir “participer au maintien des pollinisateurs dans la nature “. En effet, avec les abeilles, pas question d’utiliser des pesticides, premiers responsables de leur destruction progressive. Autres menaces croissantes pour ces insectes indispensables à la biodiversité et aux écosystèmes, le manque de nourriture et le frelon asiatique, ce prédateur redoutable. L’enjeu écologique est de taille. “ Si on savait tous que 50% de ce qu’on mange est issu de la pollinisation, on réfléchirait peut-être à deux fois “, estime d’ailleurs l’apiculteur, fasciné par cette véritable petite entreprise, si bien structurée. On l’a compris, pour nourrir l’ambition de respecter des circuits courts et favoriser la biodiversité, ces lieux vivants sont essentiels. “ Ce jardin, conclut Pierre le jardinier, est un outil pédagogique mais aussi de transmission. Il procure la liberté, le contact avec la nature généreuse et qu’il faut respecter… ”
*Le Jardin de Cocagne de la Haute Borne à Villeneuve d’Ascq est une association agréée par l’Etat « Atelier Chantier d’Insertion ». Sa mission première est l’inclusion sociale. Il regroupe une dizaine d’encadrants et une vingtaine de salariés.
“ On respecte davantage la plante quand on sait comment elle a poussé “
Océane Lemaire, actuellement en formation CAP Cuisine au CFA de Lille, est passionnée depuis toute jeune par la cuisine. “ Ma mère et ma grand-mère ont toujours cuisiné avec des produits frais et je les regarde faire depuis que je suis toute petite… ” Marc Duretête a longtemps été restaurateur avant de devenir formateur. “J’apprends à ces jeunes à cuisiner mais j’apprends aussi d’eux… il y a une forme de réciprocité. Au jardin, on vient chercher des herbes, des légumes du coup, nos élèves découvrent ainsi la réalité des graines de poireaux, des feuilles de houblon, des fleurs de courgettes …” Océane aime, comme la plupart des apprentis, venir au jardin, qui agit comme un révélateur. “Ici, on apprend tous les jours, on comprend comment la plante a poussé, du coup on respecte davantage les produits et on en perd moins aussi, confie-t-elle. Mon objectif serait d’ouvrir un restaurant gastronomique et je pourrais ainsi y associer ma mère qui n’a jamais pu réaliser ce rêve, car elle était malentendante et travaille dans une cantine… Et Marc, son formateur, d’ajouter non sans émotion : “ Ces jeunes nous tendent la main, on ne doit pas la lâcher … On se lève pour eux le matin.”