Depuis le 31 mars 2025, les 800 habitants de la commune d’Arrest, dans la Somme, n’en reviennent toujours pas : leur boucher, Johan Boudinel, -Meilleur Apprenti de France 2003, médaillé de bronze en 2004 au concours du Meilleur Apprenti d’Europe-, a remporté à Paris, avec sept autres compétiteurs de l’équipe de France, le titre de champion du monde de boucherie 2025*. Pour celui qui vient, avec son équipe, de hisser la France au sommet, cette victoire offre aussi l’occasion de montrer que l’art de la boucherie est un très beau morceau du patrimoine français.
-Tout d’abord félicitations pour ce titre mondial que vous partagez avec sept autres bouchers de l’équipe de France de boucherie. Comment devient-on champion du monde dans cette catégorie ?
Johan Boudinel : C’est deux ans de travail et des entrainements tous les quinze jours. C’est aussi de la passion, du savoir-faire et du savoir être. Sans doute également un bon esprit d’équipe et la capacité de savoir se remettre régulièrement en question.

-Comment en êtes-vous venu à ce métier et depuis combien de temps le pratiquez-vous ?
JB : J’ai 39 ans et ça fait 24 ans que je suis dans le métier (sourire). C’est une vocation, on peut le dire… Je voulais un travail manuel, j’avais des oncles bouchers, ça s’est imposé naturellement. Il faut être passionné par ce qu’on fait, ne pas compter ses heures, et toujours être en quête d’innovation. J’ai passé mon CAP Boucherie à CMA Formation Amiens, puis le BP Boucherie et BP Charcuterie Traiteur à Paris.
Après avoir été MAF en 2003, obtenu la médaille de bronze au concours du Meilleur Apprenti d’Europe en 2004, j’ai mis toute mon énergie dans ma boutique pendant 12 ans à Arrest (certification Artisan en Or en 2021). On a tout créé nous-mêmes ! Il y a 14 personnes à la boucherie. Je n’ai pas arrêté pendant toutes ces années, mais j’avais un rêve : faire les MOF, sauf je n’avais jamais le temps… Et puis, il y a deux ans, j’ai vu un reportage à la télévision sur l’équipe de France au World Butcher’s Challenge à Sacramento. Ça a été le déclic !
-Et que s’est-il passé ?
JB : J’ai envoyé un courrier pour la sélection, j’ai passé des tests et l’aventure a commencé… (rire)
Je voulais absolument ma place parmi eux, je n’ai pas lâché. On a aussi bien tous sympathisé. J’ai rencontré Christophe (NDLR Christophe Ip Yan Fat, capitaine de l’équipe de France de boucherie), le courant est passé instantanément. C’est une aventure magnifique, un formidable enrichissement personnel et humain. Tous ces multimédaillés, ça impressionne mais ils étaient tous tellement humbles et sympathiques.
-Comment se déroule la préparation pour un championnat du monde de boucherie ?
JB : La semaine précédant le concours on a eu un coaching physique et mental, notamment pour soulager le dos et trouver une bonne posture, relâcher le stress. On avait besoin de ces moments tranquilles. Ça aide.

-Dans quel état d’esprit étiez-vous pour la compétition ?
JB : J’éprouvais tout de même une certaine tension et puis on « jouait à domicile » (NDLR pour la première fois, la compétition s’est déroulée en France, à Paris) donc on ne pouvait pas décevoir. On voulait montrer le travail, transmettre et donner une belle image de la boucherie. Il a fallu se dépasser, on avait mis la barre très haut. J’étais le nouveau de la bande (rire) les autres étaient beaucoup plus qualifiés que moi mais à aucun moment on ne me l’a fait sentir.
-En quoi consistaient les épreuves ?
JB : Nous devions réaliser un buffet de sept mètres de long en partant d’une demi-carcasse de bœuf, d’un demi-porc, d’un agneau entier et de cinq volailles. Le tout en 3h30 (sourire).
-Quel rôle précis avez-vous joué dans l’équipe lors de la compétition ?
JB : J’étais remplaçant. Ce n’est pas une place ingrate mais complexe car elle exige de tout bien maîtriser. Il fallait que je connaisse tous les postes de travail, je m’y suis retrouvé cinq fois aux entrainements.
Je devais maîtriser toutes les techniques, les déclinaisons de chaque espèce. On est prévenu la veille pour le lendemain donc il faut assurer.
-Qu’est-ce qui, selon vous, a fait la différence entre votre équipe et celles des autres pays ?
JB : Je pense qu’il y avait une très belle cohésion d’équipe dès le départ. Il y a aussi nos connaissances en boucherie, une liberté dans la parole entre nous. On est comme une bande de copains qui prennent plaisir à travailler ensemble. Un vrai groupe, soudé, on se comprend du regard. C’est très important. Il y a de la complicité, de l’amitié qui est née entre nous… Mais aussi de la puissance. Le jour J, personne n’aurait pu nous arrêter (rire). C’était une formidable aventure ! Cela a donné aussi certainement une autre vision du métier, on a cassé les « codes du boucher » avec son tablier plein de sang (sourire) !
-Les savoir-faire de la découpe bouchère à la française ont été inscrits en 2024 à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
JB : Cela me rend fier, nous avons en France une découpe particulière, on valorise les morceaux, en faisant appel à une connaissance anatomique de la bête. L’une des techniques particulières c’est aussi d’ôter les os sans entamer le muscle. Il y a également toute une terminologie des différents morceaux. On identifie chaque partie, on nomme, on sublime la viande. La découpe bouchère à la française c’est la clé du travail des viandes, avec la maitrise des outils et des gestes. On rend hommage à la viande qu’on travaille. C’est tout un art, un vrai travail d’artisan.

-Est-ce en cela que la boucherie artisanale française se distingue à l’international ?
JB : Oui, la boucherie française se distingue par son côté artisanal avec la maitrise des outils et des gestes, mais aussi par l’attention, la rigueur dans le mode d’élevage (avec le plus possible d’éleveurs locaux), le mode d’abattage, le bien-être animal. C’est un métier plein de noblesse et plus respectueux qu’on imagine.
-Comment ont réagi vos clients et plus largement les habitants d’Arrest depuis cette victoire ?
JB : C’est une vraie satisfaction, j’ai reçu des centaines et des centaines de messages…C’est un petit village de 800 habitants et ils sont fiers de cette victoire. Vous savez, on donne du bonheur aux gens, ça fait partie de notre travail au quotidien et là encore plus. Nous, les bouchers, sommes des acteurs de la convivialité, regardez à chaque évènement, chaque fête, on participe à notre façon à rendre plaisant le quotidien des gens …

-Ce titre change-t-il quelque chose dans votre quotidien ou dans votre façon de travailler ?
JB : Non, pas du tout, même si au début on est sur un petit nuage, on redescend vite, rattrapé par la réalité du métier(rire) mais c’est un moteur supplémentaire qui rend heureux, c’est aussi une grande joie pour ma famille, mes enfants, mes amis.
– Que diriez-vous à un jeune qui voudrait se lancer dans la boucherie aujourd’hui ?
JB : je lui dirai de ne pas hésiter, on manque de passionnés ! Et puis dans la boucherie, il n’y a plus les contraintes d’il y a vingt ans par exemple, ça évolue tellement… Il y a de la tradition, de la transmission mais jamais de routine.
-Avez-vous des projets ou des ambitions à venir après ce titre mondial ?
JB : Oui, dans trois ans, je remettrai ce titre de champion du monde en jeu, je voudrais appliquer ce qui m’a été transmis la prochaine fois (sourire). Et puis, je vais essayer d’aller chercher le Graal, en tentant la sélection des MOF (Meilleurs ouvriers de France) en octobre 2025. Je commence les entrainements. C’est très complexe, c’est basé sur la découpe française. Être MOF, c’est garantir le summum de la qualité, ça met en confiance la clientèle et ça valorise le métier.
– Si vous deviez résumer votre métier en une phrase, que diriez-vous ?
JB : C’est de l’art ! L’art de valoriser, magnifier une pièce brute …
Crédit photos DR JB/ CFCT
*World Butcher’s Challenge : La France, championne du monde 2025
Voici les sept bouchers français qui ont hissé la France au sommet cette année :
- Christophe Ip Yan Fat (Brive-la-Gaillarde – Corrèze) – Capitaine
- Sébastien Coirier (Nantes – Loire-Atlantique) – Co-capitaine
- Mickaël Chabanon (Le Puy-en-Velay – Haute-Loire) – Co-capitaine
- Godefroy Piaton (Vernioz – Isère)
- Paolo Desbois (Bruz – Ille-et-Vilaine)
- Alexis Caquelard (Dieppe – Seine-Maritime)
- Johan Boudinel (Arrest – Somme)
De plus, Godefroy Piaton (Meilleur Parage/Tranchage) et Paolo Desbois (Meilleure Présentation et Décoration) ont intégré l’équipe « All Stars » des meilleurs bouchers du monde.
Dans la catégorie Apprentis Bouchers, la France a également dominé avec :
- Nino Candela (Thurins – Rhône) – Champion du Monde
- Dorian Ménager (Bruz – Ille-et-Vilaine) – Vice-Champion du Monde
Enfin, l’équipe de France a reçu le Prix spécial RSE/AG2R La Mondiale, récompensant son engagement en faveur du développement durable et de la lutte contre le gaspillage alimentaire.